La célèbre Chouette d’Or a enfin été découverte, et avec elle, les solutions tant attendues dévoilées au grand public grâce à la fameuse disquette laissée par Max Valentin, le créateur des énigmes. Si vous n’avez pas encore lu notre article dédié à la dernière étape, on vous conseille d’y jeter un œil avant de continuer.
En découvrant la solution finale, peut-être avez-vous trouvé quelque chose d’étrange… Il semblerait que Max Valentin ait commis une erreur classique dans la création d’une chasse au trésor reposant sur le terrain — un piège fréquent que nous connaissons bien chez Un Trésor à Paris. Michel Becker, le co-organisateur qui a mené le jeu jusqu’à sa résolution, a répondu à ces suppositions, et nous allons découvrir ça ensemble.
Dans les chasses au trésor complexes, les organisateurs créent parfois des énigmes volontairement ambiguës pour rendre leur résolution plus difficile. Max Valentin avait régulièrement donné des indices comportant des informations trompeuses, tandis que Michel Becker, en reprenant le jeu, a tenté de corriger certaines de ces ambiguïtés tout en en introduisant quelques nouvelles (mais beaucoup moins).
Malgré ces difficultés intentionnelles, de nombreux joueurs avaient fini par arriver tout près du spot final, sans jamais réussir à conclure. Cela interpelle : se pourrait-il que ce blocage final soit dû à un véritable bug du jeu ?
Ce serait tout de même surprenant qu’une telle chasse, devenue mythique… contienne une véritable erreur. Une chasse devenue légendaire, analysée sous toutes les coutures… et pourtant, une information pourrait avoir échappé à son créateur.
Dans le film documentaire consacré à la Chouette d’Or, Michel Becker évoque une subtilité étonnante : pour expliquer pourquoi il ne fallait pas tenir compte du chiffre « 223 » gravé latéralement sur la borne Saint-Martin, il utilise la métaphore d’un passage en revue militaire.
Selon lui, lorsqu’un chef militaire inspecte ses troupes, il regarde ses officiers dans les yeux, mais ne s’attarde pas à observer leurs oreilles. Ainsi, dans le cas de la chasse, « ne pas regarder les oreilles » reviendrait à ignorer volontairement le chiffre latéral « 223 ».
Soyons clairs : aucun joueur n’avait pensé par lui-même à cette subtilité étrange, et pour cause : en observant attentivement de véritables passages en revue militaires, les oreilles sont parfaitement visibles.
Michel Becker a pourtant dû insister fortement auprès des joueurs pour leur faire comprendre cette subtilité, ce qui a finalement permis au gagnant de localiser la Chouette. Mais voilà : cette interprétation est totalement absente de la solution officielle rédigée par Max Valentin.
Voici exactement ce que Max Valentin disait dans sa solution officielle :
« Le lieu-dit « Borne St Martin » se compose en réalité de trois grosses pierres (appelées dans le livre les Sentinelles, car elles gardent le trésor) disposées en triangle, isolées dans une forêt de sapins. La Borne St Martin est située à 490 m d’altitude. […]
La deuxième pierre, de forme quadrangulaire, porte les inscriptions « Martinsstein », « 1750 », ainsi que son numéro dans le réseau des bornes périmétriques de la forêt de Dabo : « 1828 ». Son côté opposé est marqué d’une crosse épiscopale – volute en dehors – chevauchant le « M » de l’ancienne abbaye de Marmoutier, dont ce rocher marque les limites territoriales. […]
Dans le livre, une phrase est déterminante pour poursuivre la recherche : « il te faut les passer en revue ». C’est-à-dire qu’il ne faut pas s’arrêter aux trois rochers, mais continuer à marcher ; un peu comme un officier qui passerait ses troupes en revue, puis les dépasserait. En d’autres termes, le chercheur de trésor doit passer devant ces 3 rochers, en restant précisément dans l’axe de Dabo. Mais, au passage, il doit relever tous les chiffres qui y sont gravés. […]
Après avoir relevé tous les chiffres gravés sur les rochers, le chercheur de trésor doit les comparer avec ceux qui sont reproduits dans le livre à la page 31, et procéder par élimination en ne conservant que ceux qui n’y figurent pas, soit :
Ne figurent pas dans le livre, les chiffres 4,1,8,8. »
— Les solutions, disponibles sur le site officiel
On remarque plusieurs incohérences flagrantes :
Ces éléments confirment fortement qu’il s’agit bien d’une erreur.
Max Valentin a visiblement raté ce fameux « 223 » pourtant bien visible !
Voici notre hypothèse :
À l’époque, la photographie numérique n’était pas démocratisée, et Max Valentin a certainement pris des photos des bornes en argentique. Mais avec son appareil, impossible de vérifier immédiatement que toutes les gravures nécessaires à la création de son énigme étaient présentes.
Il est plausible qu’il ait accidentellement oublié de prendre un cliché. Soit parce que le côté était moins visible, soit juste parce qu’il y avait beaucoup de clichés à prendre.
Revenu chez lui, Max Valentin aurait travaillé à partir de ces photos incomplètes, oubliant définitivement l’existence de ce « 223 ». Lorsqu’il est retourné sur place pour enterrer la chouette, il faisait nuit, donc compliqué de remarquer son erreur.
L’oubli d’un seul cliché justifie à lui seul le bug du 223.
Cette erreur typique survient lorsqu’on crée ses énigmes à distance sans vérifier chaque détail sur le terrain. Pour détecter ce type de faille, il faut soit revérifier sur le terrain une fois l’énigme créée, soit faire tester l’énigme à des joueurs. Mais pour Max Valentin, un test était impensable afin de préserver l’intégrité de son jeu, et il n’a pas dû sentir l’intérêt de revérifier sur place que son énigme marchait bien.
Cet oubli est cocasse, quand on pense à la toute dernière déclaration publique de Max Valentin qui, lors d’une interview, répond à une question sur comment il trouve l’inspiration pour créer ses énigmes :
« Il faut une tournure d’esprit particulière, alliée à une bonne connaissance de la psychologie des chercheurs, car ceux-ci sont extraordinairement astucieux, croyez-moi. Ajoutez-y beaucoup de travail et le souci du détail. Il faut, en effet, tout vérifier sur place, car il est impossible de se fier aux documentations et ouvrages de référence, même les plus prestigieux : on y trouve des erreurs qui font dresser les cheveux sur la tête ! Donc, tant que je n’ai pas vu un élément de mes propres yeux, je ne l’utilise pas. Cela requiert des déplacements incessants aux quatre coins de la France. Il n’y a pas d’autre secret. »
— Max Valentin, interview
On pourra donc compléter que les chasses au trésor les plus prestigieuses peuvent elles-aussi contenir des erreurs qui font dresser les cheveux sur la tête ! 😛
16 ans après le lancement du jeu, Max Valentin décède, et 12 ans plus tard encore, Michel Becker relance le jeu. Il prend alors connaissance des solutions, et se rend sur place. L’absence du nombre 223 lui semble étrange, et il envisage bien une erreur de Max Valentin. Voici ce qu’il a déclaré lors d’un échange communautaire après la diffusion du film :
« Je me suis dit à un moment, il s’est planté. Et après, quand j’ai analysé la situation, j’ai dit, ça va, j’ai compris. […] En version militaire, on ne se retourne pas. On ne regarde pas derrière. »
— Michel Becker, appel communautaire
Michel Becker change donc un peu sa version présentée dans le documentaire, avec une variante liée à la façon de se déplacer sur l’axe. La face du 223 pourrait ne pas être vue par un chef marchant tout droit.
L’idée d’avancer en ligne droite sans regarder sur les côtés ou derrière est certes plus cohérente que la version des oreilles du documentaire. Mais elle n’est pas totalement convaincante. Certes, le 223 n’est pas très visible, car la gravure n’est pas simple à lire sans se placer bien en face. Mais ce 223 n’en reste pas moins dans le champ de vision lors d’un passage en revue. Il suffit juste au chef de tourner la tête vers la droite, ce qu’il va naturellement faire pour regarder ses troupes.
Ces explications tardives apparaissent comme des tentatives improvisées de justifier une erreur réelle, même si Michel Becker semble être sincèrement convaincu de ces interprétations.
Dans tous les cas, ces versions restent incompatibles avec les incohérences de la solution rédigée par Max Valentin. L’oubli de la photo est une explication bien plus simple et cohérente, et elle pourrait même être démontrée si les photos avaient été conservées. Peu de chances néanmoins que Max Valentin ait pris le risque de garder ces photos.
Heureusement, aucun joueur ne semble avoir été pénalisé par cette erreur. Même le gagnant, qui avait envisagé de creuser à 28 pieds en tenant compte du chiffre 223, a fini par l’ignorer grâce aux indications de Michel Becker.
Ouf ?
Eh bien, affaire à suivre…
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